Les enfants et les adultes qui ne maîtrisent pas l’orthographe en souffrent terriblement, écrivez-vous, est-ce à cause du mépris  que cela leur attire ?

Anne-Marie Gaignard. – Lorsqu’on est nul en orthographe, on ressent de la honte, je pèse mes mots. C’était mon cas, et pendant toute mon enfance, je me sentais tellement coupable que je cherchais par tous les moyens une solution pour échapper à l’école. À huit ans, j’ai même essayé d’entrer au Carmel pour ne plus aller en classe… L’échec paralysait mes facultés de raisonnement. Au collège, j’étais si désespérée que je dormais avec un dictionnaire sous mon oreiller. Les nuls en orthographe ne le sont pas par négligence ! Pourtant j’adorais raconter et écrire des histoires. Je rêvais d’études littéraires mais à cause de ma dysorthographie, j’ai été orientée en seconde technique. À l’oral du bac de français, j’ai eu 19,5… et 12 à l’écrit, avec sûrement quatre points en moins pour l’orthographe ! Ce qui me laisse perplexe, c’est que personne ne s’est jamais dit que j’avais des capacités inexploitées. À trente-six ans, pendant une dépression carabinée, j’ai décidé de trouver le moyen de ne plus faire de fautes. J’y suis arrivée ! Tous ceux que je reçois en formation sont écorchés vifs. Pourtant une dysorthographie se corrige vite et bien. Un enfant qui sait à peine lire et écrire en sixième, retrouve un niveau correspondant à son âge en une semaine de prise en charge individuelle. Pour un adulte de quarante ans qui fait une faute par mot, deux jours suffisent en général pour le réconcilier avec l’orthographe.
 
Alors que la notion de faute s’est beaucoup diluée, la faute d’orthographe, elle, reste-t-elle impardonnable ?…

Lorsqu’on est nul en orthographe on se sent toujours coupable. Socialement, c’est un énorme handicap. Professionnellement aussi. Depuis quinze ans, par le biais des mails, on revient à l’écrit dans l’entreprise. Ceux qui ne maîtrisent pas l’orthographe, et parmi eux beaucoup de cadres supérieurs, sont obligés de se camoufler. 80 % de ceux que je reçois ont recours à une aide extérieure pour relire leurs courriers. Si l’entreprise s’en aperçoit, ils peuvent être accusés de rupture de confidentialité. C’est arrivé.
 
Pourquoi certains enfants intelligents sont-ils nuls en orthographe ?

On a vite fait de dire qu’ils sont dyslexiques. Or, il n’y a que 2 % d’enfants dyslexiques. D’après l’enquête Pisa 2009, 40 % des élèves français arrivent au collège avec une très mauvaise acquisition du langage, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas capables d’écrire une seule phrase sans faute. D’après la toute dernière étude, ils seraient maintenant 50 % dans ce cas. Pour tous ces enfants, le problème remonte au CP et même en grande section, et vient de ce qu’ils ont appris à lire et à écrire avec une méthode qui ne leur convenait pas. D’après mes observations, les enfants auditifs s’en sortent bien à l’école. Ceux qui ont une intelligence visuelle ne peuvent s’en tirer qu’avec une méthode syllabique. Les enfants kynesthésiques, ceux qui ont besoin de bouger, font sans cesse tomber leur crayon, mais montent à cheval comme des dieux, les plus malheureux à l’école, ont besoin de faire des gestes. Il y a des méthodes d’apprentissage qui associent les trois, le geste, l’image et le son, et peuvent être utilisées en classe. Mais je suis frappée de voir à quel point les enseignants ne se remettent pas en question. Un seul instituteur est venu se former, à ses frais, dans mon centre. J’ai reçu ensuite un mot du cancre de sa classe : «Je revis, je suis ressuscité.» Les professeurs ne sont formés qu’à enseigner aux bons élèves et ils martèlent aux mauvais qu’ils sont seuls responsables de leur naufrage. Si les enseignants exerçaient en entreprise, je ne crois pas que le patron les laisserait ainsi rencontrer 50 % d’échecs ou de futurs échecs. Non, ils auraient des comptes à rendre. Pour transmettre un savoir, il faut de la pédagogie. Pour apprendre aux enfants à apprendre, selon leur forme d’intelligence, il faut savoir comment fonctionnent le cerveau et la mémoire.
 
Êtes-vous favorable à une réforme qui simplifierait la langue française ?

Non, je respecte cette langue qui est belle même si elle m’a fait pleurer. Pour moi, l’hélicoptère ne pourrait pas décoller sans son h… Parce que le h ce sont ses pales qui tournent. Voilà un exemple d’image mentale que je me suis créée pour retenir comment s’écrit le mot. Toute la langue pour moi bruisse de ce genre de petite histoire.
 
La revanche des Nuls en orthographe d’Anne-Marie Gaignard, Calmann-Lévy, 250 p., 16,90 €.