► Le travail, facteur de développement des compétences (Pierre Pastré, Cnam)

« Il est important de distinguer les situations d’apprentissage de situations de développement », déclare Pierre Pastré, professeur émérite du Cnam, en ouverture du 2ème colloque international de didactique professionnelle (Nantes, 7 et 8 juin 2012). « Les apprentissages portent toujours sur un objet et aboutissent à des savoirs ou à des savoir-faire, le développement se réfère à un sujet et vise la capacité à croître sa capacité d’analyse, de synthèse, de problématisation », observe-t-il. « Première conséquence, le développement ne peut pas être le but de l’apprentissage (…), et il me semble que c’est l’erreur qu’ont commise les tentatives qui voulaient apprendre à apprendre ». Pour autant, « on ne peut pas davantage dissocier le développement des apprentissages ». Et de formuler l’hypothèse suivante : « c’est la confrontation à des problèmes qui favorise au maximum l’émergence du développement dans les apprentissages (…), c’est l’invention d’une solution qui génère le développement ».

Penser dialectiquement l’articulation entre apprentissage et développementPeu importe que le problème pré-existe ou soit objet de construction, ainsi qu’en témoignent les« mémoires » des étudiants qui s’appuient sur l’invention d’une « problématique », laquelle « consiste à délimiter le contour d’un champ d’action ». D’où l’invitation de Pierre Pastré à « penser dialectiquement l’articulation entre apprentissage et développement : l’apprentissage a tendance à enfermer sur un objet ; le développement à tendance à ouvrir l’esprit au-delà de l’objet strict de l’apprentissage ». Conséquence : les formations professionnelles doivent se préoccuper de développement de façon à ce que « le sujet prenne de la hauteur par rapport à l’objet d’apprentissage ». Bonne nouvelle, l’objectif est parfaitement atteignable dans le cadre du travail pour peu que l’on valorise les « situations-problèmes ». Pourquoi ? Parce que « les acteurs peuvent ainsi s’appuyer sur leur expérience tout en étant obligés de la reconfigurer pour traiter les problèmes courants ». À la clé, la « conviction que c’est dans le travail que la majorité des adultes peuvent rencontrer le développement ».

Les situations-problèmes facteurs de développement
« La construction des compétences procède-t-elle d’un apprentissage ou du développement ? », interroge Laurent Fillietaz, de l’Université de Genève. Si la compétence se résume au savoir-faire, nous sommes alors très loin du développement, répond en substance Pierre Pastré. Mais si la compétence signifie que l’« on est capable de tirer son épingle du jeu devant une situation nouvelle, alors, nous sommes très proche du développement ». C.Q.F.D. : les situations-problèmes sont facteurs de développement.
Si le travail est formateur, l’ingénierie de formation n’en demeure pas moins essentielle car« l’apprentissage par immersion en dehors d’un dispositif curriculaire de formation possède trois limites », explique Pierre Pastré : d’abord, les conséquences du « droit à l’erreur » peuvent se révéler catastrophiques en certaines occasions ; ensuite, l’apparition des situations-problèmes comporte une dimension par trop« aléatoire » ; enfin, « l’entrée progressive dans la difficulté » n’est pas toujours possible. Dans ces conditions, la démarche d’ingénierie consistera à « partir de situations professionnelles qui comportent un vrai problème et à les transposer en situations d’apprentissage ». Ceci, sans négliger les « trois propriétés du travail d’ingénierie » : premièrement, « l’interactivité, [par laquelle] les acteurs peuvent prendre conscience des effets de leur action » ; deuxièmement, « la fidélité à la situation de référence, qui suppose une analyse du travail » ; troisièmement, une « problématicité » véritable, au motif que « les situations intéressantes sont celles qui comportent un vrai problème ».

Des connaissances mobilisées de manière sélective
Restait à s’intéresser à la « place des savoirs ». Si de nombreuses connaissances sont mobilisées, elles le sont de manière « sélective » et, surtout, « profondément transformées pour en faire des outils d’orientation et de guidage de l’activité ». Un processus que Pierre Pastré assimile à un « travail de conceptualisation pragmatique » qu’il nomme « pragmatisation ». S’ajoute un processus inverse et complémentaire d’ « épistémisation », qui consiste à accéder aux savoirs académiques à partir des situations professionnelles. Ici intervient le formateur, dont le rôle est d’opérer une « médiation » qui puisse« décontextualiser » pour « institutionnaliser ». Suggestion du professeur helvétique Laurent Fillietaz : les processus de pragmatisation et épistématisation recouperaient la distinction entre formation initiale et formation continue.
2ème colloque international de didactique professionnelle, Apprentissage et développement professionnel, 7 et 8 juin 2012, Nantes. www.didactiqueprofessionnelle.org

Le 8 juin 2012, par Nicolas Deguerry