Thierry Lepaon est nommé délégué interministériel à la langue française et président de l’ANLCI

 

En Conseil des ministres du 15 février 2017, l’ancien secrétaire général de la CGT, Thierry Lepaon, a été nommé par le Premier ministre, délégué interministériel à la langue française pour la cohésion sociale, une fonction créée la veille par décret. Thierry Lepaon a également été nommé le 14 février, par arrêté de la ministre du Travail, président de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) en remplacement de Marie-Thérèse Geffroy qui la présidait depuis 2012, après l’avoir dirigée depuis sa création en 2001.
Thierry Lepaon avait été chargé par Matignon de rédiger un rapport de préfiguration d’une Agence de la langue française pour la cohésion sociale. Lors de la remise de son document final, le 29 novembre dernier, l’ancien Premier ministre, Manuel Valls, avait décidé de créer une délégation interministérielle, placée sous l’autorité du chef du gouvernement. Thierry Lepaon nous décrit les missions et l’organisation de la "DILF Cohésion sociale".
 
Le Quotidien de la formation – Quelles sont les missions de la délégation interministérielle à la langue française pour la cohésion sociale ?
Thierry Lepaon – Elle apportera son concours à la définition et à la mise en œuvre des politiques favorisant l’accès de tous à la lecture, à l’écriture et à la maîtrise de la langue française, en complément des actions de formation linguistique conduites dans le cadre de la politique d’accueil et d’accompagnement des étrangers. Le délégué coordonnera l’action des différents ministères compétents et veillera à la cohérence des actions conduites par l’ANLCI et la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF). Il pourra s’appuyer sur l’expertise du Centre international d’études pédagogiques (CIEP) dans le domaine de la promotion de l’apprentissage du français langue étrangère (FLE). L’une des missions de la DILF Cohésion sociale consistera à favoriser les partenariats entre l’Etat et les collectivités territoriales, les partenaires sociaux, les établissements publics et le secteur associatif pour la lutte contre l’illettrisme et la maîtrise de la langue française. Elle devra promouvoir et soutenir des actions de prévention de l’illettrisme et d’accès à la maîtrise de la langue française et aux savoirs de base pour tous les publics non soumis à l’obligation scolaire (plus de 16 ans). Je serai assisté d’un conseil d’orientation stratégique (COS) dont la composition sera fixée par arrêté du Premier ministre.
 
Q. F. – Disposerez-vous de relais sur les territoires ?
T. L. – Je m’appuierai sur un réseau de délégués régionaux qui devront assurer la coordination, le suivi et l’évaluation des actions menées au niveau local en matière de prévention et de lutte contre l’illettrisme et de maîtrise de la langue française, en lien avec l’ensemble des services déconcentrés de l’Etat et les collectivités territoriales, notamment les Régions.
 
Q. F. – Quels sont les enjeux à relever ?
T. L. – Dans notre pays, environ six millions de personnes ne maîtrisent pas de manière satisfaisante la langue française, soit près de 10% de la population. Or, avant d’être une compétence scolaire ou professionnelle, la maîtrise de la langue française est une compétence sociale, indispensable à l’exercice de la citoyenneté. Ce chiffre est encore plus élevé dans les départements d’outre-mer. La langue, mais aussi la maîtrise de l’ensemble des codes sociaux et culturels qu’elle sous-tend, accentue les différences et aggrave les ruptures. Elle constitue également un frein à l’emploi et au développement économique de nos territoires. Cette situation met en danger la cohésion sociale de notre pays. Tous les âges de la vie sont concernés par les difficultés de maîtrise de la langue française ainsi que toutes les catégories socioprofessionnelles. La situation s’est globalement améliorée ces dernières années, mais il reste des noyaux durs comme les adultes au chômage (10 % des demandeurs d’emploi sont concernés), les jeunes sortis du système scolaire sans qualification ou vivant dans des zones urbaines sensibles, les allocataires des minima sociaux (trois fois plus souvent en situation d’illettrisme que l’ensemble de la population) et les Ultramarins.
 
Q. F. – Cette nouvelle politique publique vise quels publics ?
T.L. – Elle vise les six millions d’adultes au total, qu’ils soient soit en situation d’illettrisme au sens strict (trois millions), ou en difficulté avec la langue française (plus de trois millions). La DILF devrait aussi venir en appui des structures en charge de l’accompagnement des migrants non éligibles aux formations linguistiques de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Cela concernerait essentiellement les ressortissants européens, les travailleurs détachés, les Français non francophones ainsi que les étrangers non primo-arrivants en situation régulière. Enfin, l’action de la Délégation touchera les usagers des services publics en levant les obstacles qui empêchent tous nos concitoyens de comprendre les documents écrits qui régissent leur vie quotidienne. Nous assurerons la promotion d’un registre de langue plus adapté aux usagers du service public. Rappelons qu’environ 15 % des personnes les plus vulnérables ne touchent pas les allocations auxquelles elles auraient droit parce qu’elles ne parviennent pas à remplir les formulaires de demande.
 
 "Diviser par deux le nombre d’adultes en situation d’illettrisme d’ici 2025" (Thierry Lepaon)
 L’objectif assigné à Thierry Lepaon, désigné le 15 février 2017 délégué interministériel à la langue française pour la cohésion sociale, est ambitieux. Il est chargé de "diviser par deux la proportion des adultes en situation d’illettrisme à l’horizon 2025". Le délégué précise au Quotidien de la formation les leviers d’action et les moyens dont devrait disposer la Délégation interministérielle à la langue française pour la cohésion sociale.
 
Q. F. – Quels sont les objectifs qui vous sont assignés ?
T. L. – En 2011, en métropole, 2,5 millions de personnes entre 18 et 65 ans ayant été scolarisées en France, soit 7 % de la population, sont en situation d’illettrisme. Au-delà de ce noyau, 22 % des adultes âgés de 16 à 65 ans ont un faible niveau de compétence dans le domaine de l’écrit et 28 % dans le domaine des chiffres, selon l’enquête PIAAC de l’OCDE, publiée en 2013 . Avec l’arrivée de nouvelles générations mieux formées, et en poursuivant les actions de lutte contre l’illettrisme dispensées aujourd’hui, le taux d’illettrisme devrait passer mécaniquement d’ici 2025 de 7 à 5,4 % de la population. Au-delà de cet effet de "génération", une politique volontariste et ambitieuse devrait viser un taux de 3,5 % pour tous les adultes, soit une division par deux de la proportion des adultes en situation d’illettrisme à horizon 2025, comme cela ressort des travaux récents de France Stratégie.
 
Q. F. – De quels leviers d’action et de quels moyens disposent la DILF ?
T. L. – Pour mettre en œuvre ses missions, la Délégation doit pouvoir mobiliser tous les outils d’une animation interministérielle. Des conventions interministérielles d’objectifs (CIO) pourront être conclues avec les ministères concernés. Les moyens mobilisés au titre des différentes politiques publiques (qui devraient s’inscrire dans un plan pluriannuel d’action) seront valorisés annuellement dans un document de politique transversale spécifique. Les décisions politiques seront prises par un comité interministériel. L’action interministérielle sera pilotée au niveau régional par les préfets qui pourront s’appuyer sur des délégués régionaux. Ces derniers seront chargés de l’élaboration de plans d’actions régionaux mettant en cohérence et engageant les moyens de l’Etat, des collectivités territoriales (Conseil régionaux, Conseils départementaux, intercommunalités et métropoles) et des entreprises. Ils pourront s’appuyer sur les travaux de diagnostics territoriaux en cours au sein des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser). Pour la mise en œuvre de ses missions, la DILF pourra aussi s’appuyer sur les structures existantes (DGLFLF, ANLCI, CIEP, réseaux associatifs). Elle s’appuiera également sur le réseau des 42 centres de ressources illettrisme et analphabétisme présents sur le territoire pour renforcer la qualification des formateurs salariés et bénévoles.
 
Q. F. – Vous mentionnez un plan pluriannuel contre l’illettrisme et pour la maîtrise de la langue française et l’acquisition des savoirs de base. De quoi s’agit-il ?
T. L. – Le succès de cette politique nécessite la mobilisation de tous les acteurs dans le cadre d’un plan pluriannuel qui précisera les priorités d’action de la délégation interministérielle. Il sera élaboré avec l’appui du Conseil d’orientation stratégique (COS) et les Ceser. Dans l’immédiat, quelques axes prioritaires se dégagent à partir des recommandations de l’ANLCI (2014-2018) : coordonner l’action publique, mener une action précoce auprès de jeunes, développer une offre de formation en direction des adultes, soutenir les acteurs associatifs et les opérateurs, renforcer la formation linguistique des migrants, éclairer et évaluer l’action publique.
 
Q. F. – Quels sont les moyens financiers de cette politique ?
T. L. – Les besoins supplémentaires de financement pour atteindre l’objectif de division par deux du taux d’illettrisme d’ici 2025 ont été estimés, par France Stratégie, à environ 50 millions d’euros par an. Cet effort financier concerne l’Etat, les Régions et la mobilisation des fonds de la formation professionnelle. En ce qui concerne les migrants, leur initiation au français et à notre culture repose essentiellement sur le monde associatif, qui agit sur le terrain avec trop peu de moyens. Il faut fixer des objectifs de moyens et de résultats, en redonnant au tissus associatif les moyens d’intervenir de manière qualitative auprès de ces publics, en augmentant sensiblement l’offre de formation linguistique en complément des actions conduites par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Dans le cadre des orientations définies dans le plan pluriannuel, des crédits d’intervention auront vocation à financer en particulier les actions d’orientation et de formation des publics inscrites dans les plans d’actions régionaux, les actions menées par les associations sous la forme d’ateliers sociolinguistiques (ASL) notamment, les actions visant à développer les certifications en langue française, les charges de structure des centres de ressources illettrisme-analphabétisme (CRIA), les actions en direction des parents (actions éducatives familiales), les apports en ingénierie du CIEP et de l’ANLCI, le programme d’observation, d’études et d’évaluation des actions menées par les différents acteurs en matière de lutte contre l’illettrisme et d’apprentissage du français. Cette programmation financière traduira le niveau d’ambition de la politique de la langue française pour la cohésion sociale et sera déterminant pour la mobilisation des partenaires nationaux et des collectivités territoriales.

 

Centre inffo – Auteur Valérie Grasset-Morel