► La France à la poursuite du numérique éducatif

Qu’elle se vante d’avoir inventé l’enseignement primaire avec Charlemagne ou qu’elle s’enorgueillisse de posséder une université vieille de huit siècles, la France bénéficie incontestablement d’un joli capital en matière de transmission pédagogique. Mais si Jean-Robert Pitte a réussi à exporter la Sorbonne à Abu-Dhabi, il nous paraît désormais plus difficile de rester au contact de l’innovation sur notre propre sol : « Il n’existe pas aujourd’hui de véritable filière industrielle identifiée et économiquement puissante du numérique éducatif scolaire. » Tel est, en effet, le principal constat du rapport interministériel sur la structuration de la filière du numérique éducatif publié mardi 24 septembre.
Un enjeu pédagogique et industriel
Commandé pour préparer le volet industriel de la stratégie numérique qui sera présentée par le ministre de l’Éducation nationale en décembre 2013, le document souligne le contraste entre le potentiel national en la matière et les résultats jusqu’ici observés. Les mauvais résultats apparaissent d’autant plus problématiques aux auteurs, qu’en plus de freiner le passage à l’école numérique, ils induisent de fâcheuses conséquences politiques et économiques : d’une part, la souveraineté nationale en matière de contenus serait potentiellement menacée si les producteurs nationaux de ressources éducatives étaient balayés par la concurrence étrangère ; d’autre part, le secteur représente une industrie à forte valeur ajoutée et créatrice d’emplois qualifiés à laquelle la France ne participe pas aujourd’hui à hauteur de ses possibilités.
Un diagnostic ancien…
Si les freins identifiés par la mission ne manquent pas — pédagogiques, techniques, gouvernance, juridiques, économiques et industriels —, ils ressemblent à s’y méprendre à ceux déjà identifiés dans les années 90 lorsque le ministère du Travail s’efforçait d’acculturer au numérique le monde de la formation. Emblématique des politiques publiques de l’époque, le programme FORE, qui avait justement pour objectif de promouvoir un écosystème favorable, a sans aucun doute manqué d’envergure. Il n’était alors que de comparer les moyens alloués au développement des Points d’Accès à la Téléformation (P@T) et ceux déployés par le Royaume-Uni pour la croissance du réseau Learndirect pour mesurer l’écart (voir notre article).
…des recettes difficiles à mettre en œuvre
En 2013, c’est dans le « contexte d’une concurrence internationale croissante, mais aussi de raréfaction de la ressource budgétaire publique », que les auteurs contre-attaquent avec dix préconisations principales, déclinées en vingt-sept propositions. Nombre d’entre-elles semblent tenter de réactiver ce qui a déjà été tenté par le passé. C’est par exemple le cas du « service public d’indexation des ressources existantes », jadis assuré par l’association Algora et aujourd’hui partiellement repris par Centre Inffo. De même pour la« mise en place d’opérations structurantes sous forme d’offres labellisées de type "tablettes à cent euros" », déjà testées sans grand succès mais qui seront sans nul doute fort bien accueillies par l’industrie internationale. Rappelons pour mémoire que la dernière opération du type, lancée en 2011 par Laurent Wauquiez alors ministre de l’Enseignement supérieur, avait exclu Archos, le seul constructeur français, de l’opération "Tablettes à 1 € pour les étudiants". On comprend dès lors l’importance de préconiser l’émergence d’une « stratégie en matière de standards et normes applicables », mais l’on ne peut que demander à voir lorsqu’on connaît l’incapacité de la France à s’affirmer à l’international sur ce champ (voirnotre article).

Un défi particulier pour la France
Sur bien des points du rapport, qu’il s’agisse de promouvoir une « politique de recherche active en matière de pédagogie numérique » ou de développer « une politique volontariste de formation des enseignants et de l’encadrement », ce n’est pas tant la pertinence des propositions qui pose problème que notre capacité à y répondre. Ainsi et sur le seul versant pédagogique, alors que beaucoup de pratiques facilitées par les technologies de l’information et de la communication préexistaient au développement de l’enseignement numérique dans le monde anglo-saxon, la France, championne du travailler seul, est peut-être plus que d’autres invitée à repenser son modèle.

 

le quotidien de la formationLe 27 septembre 2013, par Nicolas Deguerry